« Les ombres blanches » (Dominique Fortier)

Coup de cœur • Le plus bel hommage à Emily Dickinson dans la francophonie est aussi l’un des plus beaux romans de ces dernières années : Les ombres blanches, paru chez Grasset en janvier 2023. L’écrivaine québecoise Dominique Fortier avait déjà consacré son précédent ouvrage à la poétesse, avec Les villes de papier, à mi-chemin entre l’essai et l’imaginaire, décrivant la vie d’Emily Dickinson à partir des lieux où elle a vécu.

Les ombres blanches est dédié aux femmes qui se sont consacrées à faire connaître Emily Dickinson dès les premières années après sa mort. Lavinia, d’abord, qui jongle entre le chagrin de la perte de sa sœur tant aimée et un émerveillement affectueux face à la découverte de centaines de poèmes, cachés dans des fascicules. Deux autres femmes interviennent. Susan Gilbert Dickinson, belle-sœur car épouse d’Austin (le frère), qui fut la plus grande amie d’Emily et même davantage, au cœur alourdi par une perte qui semble tout assombrir. C’est à elle que Lavinia confie dans un premier temps l’édition des poèmes. La troisième ombre blanche n’est autre que Mabel Loomis Todd. Mariée à un astronome réputé, elle entretient une relation extra-conjugale avec Austin. C’est pourtant à elle que Lavinia confiera finalement l’édition du premier recueil de poèmes.

Mais ce qui décuple la puissance à l’ouvrage, c’est un personnage bouleversant : Millicent Todd Bingham, fille de Mabel, enfant à cette époque. Celle-ci noue un lien intime avec la poésie d’Emily Dickinson, notamment la nuit, quand sa mère dort et qu’elle peut consulter les poèmes. La sensibilité du regard de Millicent se confond avec celle de la poétesse. On sent que, sans jamais chercher à comprendre Emily Dickinson, Millicent a tout compris.

La jeune enfant écrit :

Choses qui vivent dans le ciel

Les oiseaux
Les libellules
Les anges
Les chauve-souris
Les étoiles
La lune
Mademoiselle Emily

L’absence d’Emily Dickinson semble étrangement décupler puissamment sa présence sous la plume de Dominique Fortier. Une présence spectrale immortelle, incarnée en Millicent, en tout lecteur, toute lectrice, faisant l’expérience de cette poésie. D’une beauté littéraire prodigieuse, Les ombres blanches est la plus belle et intime déclaration que vous lirez sur Emily Dickinson. La lecture du livre de Dominique Fortier est poétiquement essentielle. Les ombres blanches est idéal comme « premier contact » avec Emily Dickinson, tout comme il fera chavirer le cœur des amoureuses et des amoureuses de cette poétesse extraordinaire.