La Nature est Harmonie –

La « Nature » est ce que Nous connaissons –
La Colline – l’Après-midi –
L’Écureuil – l’Éclipse – le Bourdon –
Plus encore – la Nature est le Paradis –

La « Nature » est ce que Nous entendons –
Le Passereau – la Mer –
Le Tonnerre – le Grillon –
Plus encore – la Nature est Harmonie –

La « Nature » est ce que Nous connaissons –
Mais sans avoir l’Art de l’exprimer –
Si impuissante est notre Sagesse
Face à sa Sincérité –

Les poèmes d’Emily Dickinson sont des fleurs, tant sa poésie est ancrée dans la Nature et la majuscule n’est pas ici hasardeuse. Plusieurs centaines de poèmes, sur les 1 789 connus, font référence à la nature, soit comme sujet, soit comme imagerie (la frontière n’est jamais claire). La poétesse a l’instinct de l’écosystème : l’abeille, la rose, la plaine, la brume, le Soleil couchant, l’oiseau forment une symphonie rythmée.

Comme souvent à son époque, Emily Dickinson a constitué, dès l’adolescence, dans le cadre scolaire, un herbier. Elle l’a cependant conservé toute sa vie et il est aujourd’hui stocké à la bibliothèque d’Harvard. Chez Emily Dickinson, la botanique devient une passion et la botanique au sens d’une science méthodique, rigoureuse, érudite de l’environnement. La Nature est un monde caché, d’une profondeur insondable, mais pleine de feuilles et d’épines tangibles que l’on peut regarder, toucher. La Nature a quelque chose à nous dire : Emily Dickinson s’en fait traductrice, incertaine et timide car humble elle se prosterne devant l’ampleur de la Nature , mais néanmoins fine connaisseuse, minutieuse botaniste. Elle y est attentive, elle en saisie les détails les plus infimes à l’échelle miniature, tout comme elle en observe les grandes œuvres. À l’image d’un herbier, d’ailleurs, geste technique et geste artistique sont chez elle un seul et même acte poétique.

Extrait de l’herbier d’Emily Dickinson (bibliothèques de Harvard).

En quête d’indices sur la grande énigme des « huiles essentielles » de la vie, du temps, de la mort, de l’amour, elle les cherche chez les insectes, les oiseaux, les pétales, les arbres avec leurs odeurs, leurs couleurs, leurs cycles. À ce titre, les abeilles ont d’ailleurs une place de choix dans son œuvre, un peu comme des agents de la réalité : elles butinent l’essence du monde comme nous nous nourrissons de la vie. Mais on y trouve également les araignées, rarement effrayantes. Car la nature d’Emily Dickinson est amicale et mérite notre affection (Le talent Artistique de l’Araignée / N’a jamais été utilisé – / Bien que son Mérite sans égal / Soit aisément certifié).

On trouve aussi les phénomènes les plus passagers :

Une Rosée se suffisait –
Et donnait satisfaction à une Feuille
Elle se disait « Quelle destinée grandiose » –
« Comme la Vie est banale ! »

Le Soleil sortit travailler –
Le Jour sortit s’amuser
Et plus jamais l’on revit cette Rosée
En sa physionomie –


Si elle fut Enlevée par le Jour
Ou vidée par le Soleil
Dans la Mer, en passant
Cela restera éternellement inconnu –

À ce Jour attestent
Cette terrible Tragédie
De l’Extase, l’instabilité
Du Destin, la célérité


Ou les saisons :

L’hiver pourvu qu’on le cultive
Est aussi arable que le printemps

La nature de Dickinson est aussi la structure de tout : l’extraordinaire et l’ordinaire contenus au détour d’un coucher de soleil ou dans le plumage d’un oiseau, lui permettant d’exprimer des émotions, expériences, non sans rappeler des contes.

L’« Espoir » est la chose avec des plumes–
Perchée dans l’âme–
Qui chante une musique sans mots–
Et qui ne s’arrête –jamais–

La nature… et la science

Qui dit botanique dit également science. Voilà qui peut sembler paradoxal, dans le contexte de la ville d’Amherst, en Nouvelle-Angleterre au XIXe siècle. Mais c’est aussi une époque d’effervescence scientifique. Bien que toujours traversée par les questions liées à la foi, et par les références bibliques, Emily Dickinson s’est peu à peu émancipée d’une vision exclusivement religieuse du monde. Sa passion pour l’enseignement scientifique est palpable.

La Foi » est une belle invention
Pour ces Messieurs qui savent voir !
Mais les Microscopes sont prudents
En cas d’Urgence !

Cela tient au vocabulaire parfois employé, qu’à l’approche même du monde :

La Nature assigne le Soleil –
Ça – c’est de l’Astronomie –
La Nature ne peut décréter une Amitié –
Ça – c’est de l’Astrologie.