Famille & entourage d’Emily Dickinson

Dans une lettre du 25 avril 1862 à Thomas Wentworth Higginson, homme de lettres avec qui elle démmare alors une correspondance, Emily Dickinson répond à une question lui demandant d’évoquer son entourage :

« Vous me demandez mes Compagnons : les Collines – Monsieur – et le Soleil couchant – et un Chien aussi grand que moi, que mon père m’a acheté – Ils sont mieux que des Êtres humains – parce qu’ils savent, mais ne disent rien – et le bruit dans la Mare, à Midi, dépasse mon Piano. J’ai un Frère et une Sœur – Ma Mère ne s’intéresse pas à la pensée – et mon Père est trop occupé par ses Dossiers – pour remarquer ce que nous faisons (…) »

EmilyDickinson.fr

La famille Dickinson

Edward Dickinson (1803-1874)

Père d’Emily Dickinson.

Edward Dickinson est un homme de droit réputé à Amherst. Il a été le trésorier de l’Amherst College, l’université de la ville. Il a également été député, puis sénateur, pour le Massachusetts. Il appartenait au Whig, parti politique majeur de l’époque, de droite libérale. Il a épousé Emily Norcross Dickinson en 1926.

Il est autoritaire et, au mieux, froid. « Mon père est trop occupé par ses dossiers pour remarquer ce que nous faisons – Il m’achète beaucoup de livres – mais me supplie de ne pas les lire – parce qu’il craint qu’ils ne m’embrouillent l’esprit », confie-t-elle dans la lettre de 1862. Symbole de cette relation, il existe une note d’une ébauche de poème, où Emily écrit simplement : « Cher Père- Emily ».


Emily Norcross Dickinson (1804-1882)

Mère d’Emily Dickinson.

Emily Norcross Dickinson passe le plus clair de son temps dans la maison de la famille. Elle s’occupe de son jardin, une passion qu’elle a transmise à sa fille Emily. Il semblerait qu’elle ait souffert d’une longue période dépressive autour de 1855. En 1874, elle subit une attaque cardiaque qui la laisse paralysée. Emily et Lavinia s’occupent alors d’elle, durant une période traumatisante pour les deux soeurs.

La relation avec sa fille est compliquée. Emily Dickinson évoque, dans un courrier, n’avoir « jamais eu de mère », suggérant un manque d’affection de cette dernière. La poétesse écrit cependant, peu après la mort de sa mère : « Quand nous étions enfants et qu’elle voyageait, elle nous rapportait toujours quelque chose. Dorénavant, si elle pouvait simplement nous revenir, quel cadeau unique ce serait… »


William Austin Dickinson (1829-1895)

Grand frère d’Emily Dickinson, surnommé Austin.

Austin est l’ainé des enfants Dickinson. Comme son père, il fait carrière dans le droit et lui succède comme trésorier de l’Amherst College. Il devient aussi l’associé de son cabinet. Austin est passionné par l’architecture et les peintures de paysages. Il épouse Susan Huntington Gilbert en 1856 et ils font bâtir les Evergreens, une maison située juste à côté de Homestead. Emily Dickinson peut apercevoir les Evergreens au loin, depuis la fenêtre de sa chambre. Avec Susan, ils ont eu trois enfants.

Austin était très proche de sa sœur Emily, en particulier durant leur jeunesse, comme en témoigne leur abondante et affectueuse correspondance.


Lavinia Dickinson (1833-1899)

Petite sœur d’Emily Dickinson, surnommée Vinnie.

Emily estimait avoir un lien « ancien, sincère, indissoluble » avec sa petite sœur. Si l’on en croit Martha, la nièce des soeurs Dickinson (fille d’Austin et Susan), c’était sur Lavinia que reposait en grande partie le foyer des Dickinson. « C’est Lavinia qui savait où tout se trouvait », écrit-elle dans ses mémoires. « C’est elle qui se souvenait qu’il fallait cueillir les fruits pour les mettre en conserve, qu’il fallait conserver les graines pour les planter l’année suivante, ou qu’il fallait écrire des lettres de convenance aux tantes. »

Après la mort de sa sœur, Lavinia a brûlé la correspondance, comme Emily l’avait demandé, mais est tombé sur les fascicules contenant des centaines de poèmes. Elle passe le reste de sa vie à se battre pour faire connaître la poésie d’Emily Dickinson. Aujourd’hui, on doit donc beaucoup à Lavinia.


Susan Huntington Gilbert Dickinson (1830-1913)

Épouse d’Austin, belle-sœur (et amie) d’Emily Dickinson, surnommée Sue / Susie.

Susan et Emily vivaient à deux pas l’une de l’autre, dans deux maisons voisines. Mais elles communiquaient également beaucoup par correspondance, là où l’intimité pouvait peut-être véritablement s’exprimer. Susan a énormément contribué à la poésie d’Emily Dickinson : elle l’était l’une des principales destinataires des poèmes envoyés par courriers ; elle a par ailleurs inspiré des poèmes entiers ; et l’on a des traces de collaboration littéraire. La relation entre Susan et Emily a longtemps été passée sous silence, et des lettres ont même été censurées.

Autour d’Emily Dickinson

Thomas Wentworth Higginson (1823-1911)

Homme politique (fervent abolitionniste), éditeur, correspondant d’Emily Dickinson

En 1862, Thomas Wentworth Higginson publie Letter to a Young Contributor dans l’Atlantic Monthly, un billet dédié aux écrivains et écrivaines en herbe. La semaine suivante, alors âgée de 31 ans, Emily Dickinson lui envoie une lettre : « Êtes-vous trop occupé pour me dire si mes vers sont vivants ? », demande-t-elle poliment, joignant quelques poèmes. Une importante correspondante démarre et Emily Dickinson considère rapidement Higginson comme son « précepteur ». Il sera son premier éditeur, à titre posthume, en duo avec Mabel Loomis Todd.


Samuel Bowles (1826-1878)

Rédacteur en chef du Springfield Republican, correspondant d’Emily Dickinson

Le journaliste et homme de lettres Samuel Bowles est l’un des principaux correspondants d’Emily Dickinson. Rencontré aux Evergreens, la demeure voisine de Susan et Austin, où il était convié, elle lui envoie un première lettre, puis d’autres s’enchaînent. En tout, elle lui enverra pas moins de 40 poèmes. Curieusement, aucun d’eux ne fait partie des très rares poèmes d’Emily publiés dans le Springfield Republican.

Les échanges entre Bowles et Dickinson sont surtout intellectuels, mais parfois affectueux. Leur relation semble avoir celle d’une solide amitié (bien que certains universitaires aient évoqué un possible sentiment amoureux).


Helen Hunt Jackson (1830-1885)

Écrivaine, amie d’Emily Dickinson

Une autre femme réputée des lettres américaines est originaire d’Ahmerst : Helen Hunt Jackson. Elle commence par des poèmes, publiés dans des journaux sous les initiales H.H., puis son roman Ramona, où elle défend les droits des Américains, est un succès. Les deux femmes se sont rencontrées par l’intermédiaire de Thomas Higginson. Helen Hunt Jackson est alors tombée sous le charme des qualités littéraires d’Emily Dickinson. Toute leur relation amicale durant, elle essaye de la pousser à publier, sans succès. Elle parviendra seulement à convaincre Emily de publier anonymement dans l’anthologie A Masque of Poets.

« Vous êtes un grand poète et c’est dommage pour votre époque que vous ne chantiez pas à haute voix », écrit Helen Hunt Jackson à Emily Dickinson, en 1876.


Le juge Otis Lord (1812-1884)

Emily Dickinson a entretenu une relation amoureuse avec Otis Lord, juge à la Cour Suprême (de 1875 à 1882). Homme politique important, il était ami avec le père d’Emily, Edward. C’est à la mort de ce dernier, ainsi que celle de sa femme Elizabeth, que la teneur amoureuse de la relation s’est développée. Il ne reste qu’une poignée de lettres, issues de brouillons, qui furent d’abord censurés par Austin et Lavinia, et rendus publics qu’en 1954. Il y a eu possiblement un projet de mariage entre Emily Dickinson et Otis Lord, mais il décède en 1884, et elle, en 1886.

Emily Dickinson a entretenu d’autres types de relations amoureuses, en plus de celle avec Susan, qui restent toutefois tout aussi mystérieuses : avec le révérend Charles Wadsworth ou avec George Gould (ami d’Austin durant leur jeunesse), ou encore un inconnu qu’Emily appelait le « Maître » dans des courriers jamais envoyés.

Mabel Loomis Todd (1856-1932)

Première éditrice

Mabel Loomis Todd s’est installée à Amherst, avec son mari David, en 1883. Elle devient amie avec le couple Austin-Susan, puis la maîtresse d’Austin pendant de nombreuses années. Elle n’a jamais rencontré Emily, bien qu’elle ait joué du piano au Homestead (Emily restait dans sa chambre) et qu’elles aient échangé quelques lettres.

À la mort d’Emily, Lavinia confie finalement à Mabel le soin d’éditer un premier recueil (et la correspondance) de sa soeur, avec l’appui de Thomas Higginson. Ces premières éditions pilotées par Mabel Loomis Todd modifient la structure, parfois le contenu, des poèmes ; afin qu’ils correspondent aux mœurs de l’époque. Il faudra attendre les années 1950 pour la publication des poèmes originaux. Mabel gomme par ailleurs autant qu’elle peut toute mention de Susan.